Ce que je recherche avant tout dans la Musique, c'est l'émotion. Certes, elle permet aussi de
s'amuser, de picoler, de bavarder entre amis, ou encore de faire le ménage, pousser
un panier de supermarché, courir en forêt, ou pisser dans les toilettes
publiques. Moi, j'y vois l'occasion de m'émouvoir,
de m'évader du monde réel, d'oublier les râleurs, les rabat-joie, et de
partager des instants de grâce avec les musiciens et des mélomanes. Ce soir,
j'ai été servi.
CONTEXTE.
Mais évidemment il y a toujours un fait contrariant à
toute intention, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Les promoteurs ont décrété que
GENESIS devait s'y produire. S'agissant sans doute de la dernière occasion de
revoir cette vénérable institution du rock progressif britannique, je m'interdis
de mépriser ce rendez-vous, en dépit de l'inquiétant état de santé de Phil
Collins. En dépit aussi des prix exorbitants et inadmissibles des places qui
semblent s'adresser à une élite de quinquagénaires assez mélancoliques et
fortunés pour s'offrir les meilleurs emplacements.
Selon sa génération, selon ses émotions, ses coups et
ses douleurs ressentis au fil de la carrière de ces artistes britanniques
atypiques, chaque admirateur aura sa période préférée. Pour ma part, comme
beaucoup, je considère que l'âge d'Or se situe entre 1971 et 1977, lorsque le
trio actuellement en place était accompagné de Peter Gabriel (1967–1975) et de
Steve Hackett (1971–1977). Je pourrais même débuter ladite période à
octobre 70 avec "Tresspass"
qui constituait déjà la genèse (désolé,
je n'ai pas résisté !) de leur succès. Cependant, j'apprécie globalement
l'ensemble de l'œuvre de ces pionniers du rock progressif.
Mais, hélas je n'ai pas été sensibilisé à leur talent
avant le début des années 80, durant lesquelles les radios émettaient
inlassablement "That's All"
et "Mama". Ce n'est que le 3 juin 1987 que j'ai pu voir Genesis
sur la scène de l'Hippodrome de Vincennes à PARIS (12ème) moyennant
la somme (déjà considérable à l'époque) de 150 francs. Aux pupitres claviers,
basse, percussions, chant et guitare c'était le même quatuor qu'aujourd'hui qui
promouvait "Invisible Touch"
(1986), leur treizième album depuis dix-huit années.
La discographie de Genesis présente désormais quinze
albums studio enregistrés entre 1969 et 1997. Ce concert ne s'inscrit donc pas
dans une tournée promotionnelle ; aucun nouvel album n'est paru depuis des
décennies. Il s'agit plutôt de l'émouvant adieu de ces musiciens légendaires à
son public qui attendait ce retour depuis trop longtemps. Je ne les aurai vus que deux fois en cinquante-cinq
années, mais j'ai pu emmener ma compagne et mon fils pour qu'ils réalisent ce
qu'est le talent maitrisé. Voilà qui est fait, amen.
Je me rends ainsi à ce concert comme à un complément
de celui de Steve Hackett, leur ancien comparse, auquel j'ai assisté à la salle
Pleyel à l'automne dernier.
Pour l''accès à cette grosse baleine qu'est l'arène, il faut
beaucoup marcher, beaucoup patienter pour les fouilles, un peu moins pour
valider les codes-barres, mais surtout avoir une forme athlétique pour accéder
aux balcons. Car les gueux pas assez aisés pour bénéficier de places assises en
fosses, quel que soit leur âge, doivent affronter quatre séries d'escaliers,
sans doute pour les inciter, une fois parvenu au pigeonnier, à payer une
boisson à la première échoppe venue… Ces enfoirés n'ont pas eu ce plaisir en ce
qui me concerne. Non mais dites donc …
Je dois cependant confesser avoir céder à la tentation
d'un 90ème t-shirt pour ma collection. Le montant (40 €) pouvait
pourtant paraitre rédhibitoire, mais l'évènement ultime me semble pouvoir
justifier ce nouvel écart de conduite.
GENESIS [20h00-22h30].
Aujourd'hui, nous retrouvons ainsi deux membres
fondateurs Tony Banks (claviers,
guitare-12-cordes, chœurs ; 1967–2000, 2006–2007, et depuis 2020), et Mike Rutherford (basses, guitare, chœurs ; 1967–2000,
2006–2007, et depuis 2020). Monsieur Phil Collins
(batteur de 1970 à 1996 et de 2006 à 2007) est présent aussi, mais diminué
physiquement au point qu'il a dû renoncer aux fûts depuis 2007. Sa
participation se limitera donc au chant (1975–1996, 2006–2007, et depuis 2020),
assis sur un tabouret.
Deux musiciens, pas tout à fait étrangers au trio
légendaire, apportent leur précieux soutien à l'occasion de la tournée actuelle,
"The Last Domino ?". Daryl Stuermer (guitare, basse, chœurs ; 1977/8–1992,
2006–2007, et depuis 2020), et le fils à son papa, Nic Collins (drums, percussion ; depuis 2020). Il a été jugé opportun (…)
de soutenir les parties vocales avec Daniel Pearce (chœurs ; depuis 2020), Patrick Smyth (chœurs ; depuis 2020).
Immanquablement, je me doutais bien que j'allais
assister à une soirée chargée en émotions. Le handicap de Phil Collins s'est avéré
d'autant plus émouvant qu'il nous renvoie en pleine figure la dure réalité du
temps qui passe inexorablement. Il convient de rappeler qu'il a été diminué par
une pancréatite, par deux opérations du dos, en 2009 et en 2015, ainsi que par son
diabète ; tout cela laisse forcément des traces.
Lui qui était si dynamique et puissant, il nous est
apparu avec une canne pour accéder à son fauteuil, dont il n'a plus bougé. Mais
passé cette douloureuse étape, le concert fut un éblouissement permanent ; les
musiciens demeurent talentueux, l'éclairage fut somptueux, la sonorisation puissante
et audible a permis de savourer les musiques pleines d’harmonie, de poésie et
d'énergie. Les années 80, largement représentées, auraient pu nous frustrer en
tant que progueux axés sur les 70's, mais j'ai pris un immense plaisir
immersif. Durant près de deux heures et demie, (20h30-22h55) nous avons voyagé
dans le temps avec cette vénérable institution du rock progressif britannique
qui rentre désormais dans la légende.
L'amplification sonore est astucieusement répartie
dans l'espace et l'ingénieur a su doser la puissance et la qualité pour le
plaisir des auditeurs quelle que soit son emplacement. Même si la frappe du
p'tit Nic m'a parfois paru un peu surexposée, sans jamais être nuisible au
reste.
L'éclairage constitué de cinq blocs mobiles de quatre
rampes de projecteurs multicolores surplombe la scène et un dispositif
au-dessus de la fosse vient parfaire les ambiances lumineuses. Le tout crée des
atmosphères extraordinaires de subtilités et de nuances de couleurs.
En fond de scène, plusieurs panneaux écrans verticaux peuvent
selon l'ambiance créer des images multiples ou constituer un écran géant. Ce
jeu d'images montre en alternance les artistes sur scène et ou des
illustrations de titres. De chaque côté de la scène, un écran intermédiaire et
un écran plus grand permet au public éloigné de profiter de plans rapprochés.
Ces cinq écrans sont les bienvenus dans cette immense salle.
Quant à la scène elle-même, pas de décor particulier. Chaque
pupitre jouit bien évidemment de tout l'espace requis. Vu mon emplacement, je
ne suis pas en mesure de détailler le matériel déployé, mais à quoi bon chacun
peut aisément imaginer que Monsieur Tony
Banks ne se contente pas de matériel Bontempi.
Dès les premières minutes de cette "Turn It On Again", des frissons
m'ont envahi depuis la colonne vertébrale jusqu'à mes bras, des larmes
d'émotions ont embués ma vue. Je sais, je suis un grand émotif et je ne m'en
soigne même pas. Quel doux sentiment que de pouvoir s'abandonner à un tel
enivrement, sans retenue ! Une spirale de sensations visuelles et sonores
m'emporte dans un espace intemporel ; elles sont à la fois délicieuses et
douloureuses. Certes le Phil a pris un sacré coup de vieux et ça fait mal. Mais
son obstination à vouloir communier une dernière fois avec son fidèle public
impose notre respect et relève de l'abnégation. Car il l'a dit lui-même, il n'a
plus besoin de cette tournée pour subvenir à ses besoins, il le fait pour nous
faire plaisir une dernière fois, tout simplement. J'aurais aimé un tel
volontarisme de la part de Peter et de Steve, mais bon c'est comme ça épicétou.
Ma crainte en venant ce soir portait légitiment sur la
crédibilité de la prestation de Phil. Sa voix n'a certes plus la prestance, ni
la justesse, ni la tessiture assurée des 80's, mais elle reste identifiable et
satisfaisante. En tout cas, sa prestation m'a paru honorable. Le soutien des
choristes est le bienvenu, mais son rôle est juste de magnifier
l'interprétation des titres emblématiques. Par ailleurs, il conserve son esprit
espiègle et aime toujours communiquer, parfois avec un français hésitant, avec
son public qui n'attend que cela.
Juste après "Duchess",
il présente ses complices. Son émotion est visible lorsque Mike le présente à
son tour et qu'il reçoit une ovation décuplée. En préambule à "Domino", il invite alternativement
le public à sa gauche, à sa droite ou au centre, à répondre à ses invectives !
Une belle communion.
Mike et Tony ont pour leur part assuré leur pupitre à
la fois stoïques et concentrés. Les images montraient parfois un rictus
dénonçant un réel plaisir d'être là, mais pas d'exubérance ; ce n'est pas le
genre de la maison. Leur talent est démontré sur toutes les séquences et c'est
bien l'essentiel. Mike assure de bien belles partitions à la guitare ; je
souligne tout particulièrement le final de "No Son of Mine".
Nic assure sa partie avec fougue et une redoutable
efficacité qui peut rendre fier son papa.
Daryl n'a pas à rougir de sa prestation ; son style
est certes différent de Steve mais à mon sens il mérite son pupitre dans ce
groupe. Personnellement, je déplore même ce strapontin dont il doit se
contenter depuis maintenant plus de quarante-huit années. Ce statut me rappelle
celui de John Wesley au sein de Porcupine Tree.
En deuxième acte, les musiciens se sont regroupés
au-devant de la scène pour interpréter quelques titres en semi-acoustique.
Magnifique moment également.
Dans un espace aussi vaste, il est souvent difficile
de créer une atmosphère festive et fusionnelle, d'autant plus que la fosse
était constituée de rangées de sièges destinés à des admirateurs au moins aussi
âgés que les artistes sur scène. La réaction du public fut à la fois chaleureuse
et respectueuse. Les ovations n'étaient pas déchainées mais elles montraient
cependant une réelle satisfaction de connaisseurs passionnés. L'auditoire n'a
cessé de répondre aux incantations de Phil.
Quant au programme, comme d'habitude chacun pourra
émettre un regret pour tel titre omis ou tel album insuffisamment visité, mais
il faut reconnaitre que cent quarante-cinq minutes ont permis de sélectionner
une belle brochette de titres magnifiques. Néanmoins, puisque c'est mon récit,
je me permets de déplorer la surexposition de l'opus "We Can’t Dance" avec trois titres, alors que "Wind & Wuthering" mon opus
favoris n'aura été évoqué qu'une seule fois. Plus globalement, les 70's n'ont
été évoqué que sept fois.
Vingt-trois
titres interprétés plus ou moins
complètement ; cinq titres de "Invisible Touch" (1986), quatre titres issus de "Genesis" (1983), quatre titres issus de "Selling
England by the Pound" (1973), trois
titres issus de Duke (1980), trois
titres issus de "We Can’t Dance" (1991), deux titres issus de "The
Lamb Lies Down on Broadway" (1974), un titre issu de "And Then
There Were Three…" (1978), un titre issu de "Wind
& Wuthering" (1976).
PROGRAMME
Intro : Dead Already (titre de
Tom Newman)
Behind
the Lines / Duke's End (Duke, 1980)
Turn
It On Again (Duke, 1980)
Mama
(Genesis, 1983)
Land
of Confusion (Invisible Touch, 1986)
Home
by the Sea (Genesis, 1983)
Second
Home by the Sea (Genesis, 1983)
Fading
Lights (deux premier couplets) (We Can’t
Dance, 1991)
The
Cinema Show (deuxième moitié ; avec extraits de "Riding The Scree" & "In That Quiet Earth") (Selling England by the Pound, 1973)
Afterglow
(Wind & Wuthering, 1976)
Partie acoustique
That's
All (Genesis, 1983)
The
Lamb Lies Down on Broadway (The Lamb Lies
Down on Broadway, 1974)
Follow
You Follow Me (…And Then There Were
Three…, 1978)
Duchess (Duke, 1980)
(présentation
du groupe)
No
Son of Mine (We Can’t Dance, 1991)
Firth
of Fifth (extrait instrumental) (Selling
England by the Pound, 1973)
I
Know What I Like (In Your Wardrobe) (extrait "Stagnation") (Selling England by the Pound, 1973)
Domino
(Invisible Touch, 1986)
Throwing
It All Away (Invisible Touch, 1986)
Tonight,
Tonight, Tonight (deux premier couplets) (Invisible
Touch, 1986)
Invisible
Touch (Invisible Touch, 1986)
RAPPEL :
I
Can't Dance (We Can’t Dance, 1991)
Dancing
With the Moonlit Knight (Selling England
by the Pound, 1973) (intro & premier couplet seulement)
The
Carpet Crawlers (The Lamb Lies Down on
Broadway, 1974)
.
Bravo !
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