Il me serait bien difficile d'argumenter mon attirance
pour Rammstein : comme quelques autres groupes que j'apprécie, je n'y décèle
pas de virtuosité particulière, ni de subtilité romantique dans les mélodies, ni
de cette complexité musicale que je recherche tant par ailleurs. On aime ou on
n'aime pas, point. J'ai moi-même tardé à tomber dans la marmite, car bien que
germanophile depuis toujours, je me méfiais de ces personnages plus
qu'inquiétants, a priori…
De prime abord, ils ne donnent pas le sentiment de
faire dans la fine dentelle. Et pourtant, il s'avère qu'en dépit de leur
attitude provocatrice, cynique et désinvolte ce sont de vrais artistes ; ils savent
jouer avec les images, les sons et les mots. Leurs vidéos sont réalisées avec
un soin cinématographique, le son et la production de leurs albums sont soignés,
et leurs textes germanophones sont souvent ambigus, à double sens. Ils savent
de surcroît s'entourer de vrais professionnels, tant pour l'élaboration des
vidéos, que pour les extraordinaires spectacles de scène, durant lesquels la
pyrotechnie est poussée à un paroxysme dont se souviennent toujours les
spectateurs, en particulier ceux des premiers rangs !
Pourtant pourfendeur des excès sonores, des voix sans
qualité, et des pré-enregistrements, j'ai commencé à me pencher au-dessus de
ladite marmite par le biais d'autres mélomanes vers les années 2000. C'est
lamentable, et je n'assume pas vraiment, en fait. Mes scrupules sont comparables
à ceux générés par Ghost. Me voilà maintenant en train de mijoter avec des
milliers de pauvres diables complètement écervelés, dès que des rythmes
binaires résonnent dans les stades…
Car en effet, pour promouvoir leur septième opus,
sobrement intitulé "Rammstein",
les allemands ont décidé de se lancer dans une tournée des stades. Ce fut pour
moi l'occasion d'inaugurer cette salle encore récente, (faute d'avoir pu assister aux concerts des Rolling Stones et de Roger
Waters).
L'intérieur de l'arène surprend, fatalement. C'est
juste énorme. On se doute déjà que ce sera une belle aire de jeux pour ces
pyromanes. … Me voilà donc placé au fond du U en gradin relativement haut situé
(putains d'escaliers pour y arriver, la
vache !!!), mais parfaitement en face de la scène. Puisque je suis dans le
prolongement de console du son, je peux prétendre à disposer d'une bonne
acoustique. Mais de cela, on en reparlera…
DUO JATEKOK [20h-20h35].
Admirable audace que d'imposer au public une première
partie aussi surprenante. Deux pianistes françaises, Adélaïde Panaget et Naïri Badal, qui ont fondé en 2007 Duo Játékok, ont le redoutable privilège
de devoir chauffer les stades durant toute la tournée des terrifiants teutons,
devant leur horde assoiffée de sons et de feux !!! Certes, leur baptême avait
déjà été accordé en 2017 aux Arènes de Nîmes, mais de là à oser une tournée à
travers toute l'Europe…
Elles baignent habituellement dans le milieu classique
et semblent cependant apprécier ce public de metallos turbulents. En tous cas
c'est ce qu'elles prétendent…Ceux qui ne sont pas réceptifs en profitent pour
se désaltérer, vider ce qui est déjà ingurgité, ou encore pianoter sur les
écrans. Mais globalement les filles s'adressent avec la franchise et avec l'aplomb
de leur talent à un auditoire respectueux (hormis
un imbécile pas loin de moi qui n'a pu s'empêcher de beugler un "à
poil" à la hauteur de son intellect).
Pour ma part, je suis heureusement surpris, je réalise
que le soutien des allemands à cette vraie gageure est parfaitement justifié. En
fait, elles reprennent huit des titres de RAMMSTEIN, extraits d'un album
intitulé "Klavier". Le plus
souvent interprétées à quatre mains sur un piano, les reprises sont crédibles et
même parfois émouvantes ("Frühling
in Paris" repris en chœur par le public).
Après ce moment de délicatesse, les lumières se
rallument pour laisser apparaitre une fosse qui peut sembler encore clairsemée
peu avant 21 heures. Impression accrue par l'évitement des trois estrades
techniques qui font obstacle à la vue sur la scène.
RAMMSTEIN [un peu plus de deux heures]
Il est 21 heures, les lumières sont éteintes, et les
dernières mesures d'une musique baroque laissent la place à une terrifiante
explosion qui réveillerait tous les morts du quartier.
Je retrouve ainsi un groupe fidèlement lié (rare qualité !) puisque depuis 1994, Till Lindemann (chant), Richard Zven Kruspe (guitare, chœurs), Christoph "doom" Schneider (batterie), et Oliver "Ollie" Riedel (basse) restent entourés de Paul Landers (guitare, chœurs) et Christian "Flake" Lorenz (claviers). Cela faisait sept années que je les avais vus à Bercy, trois années au Download Festival Paris.
Etonnant choix, c'est le lourdaud "Was ich liebe" qui débute le
spectacle. Très vite, je m'inquiète cependant pour la sonorisation. Alors que
durant mes derniers concerts je pouvais de nouveau me passer de protections
auditives, là c'est juste pas possible… La basse et la batterie sont juste
assourdissants ; cela s’avérera un calvaire quasi permanent. Le point culminant
de ce catastrophique déréglage des balances sonores sera "Mein Teil" qui fut tout simplement
une bouillie infâme ; il me fallut regarder la mise en scène (particulièrement
identifiable) pour reconnaître la chanson !
Le plaisir escompté ne pouvant venir de mes oreilles,
je me résous à miser sur mes yeux. Fort heureusement, je n'avais pas omis mes
lunettes, mais j'aurais toutefois été bien inspiré d'emmener mes jumelles.
L'éclairage permanent était relativement sombre. Ce qui, dans une aussi grande
salle peuplée de lilliputiens (autant sur
scène qu'en fosse) ne laissait pas beaucoup de chose à regarder, d'autant
moins qu'il manquait à mon humble avis deux écrans latéraux. Un seul minuscule
écran central diffusait des images, de temps en temps, et encore, rarement pour
montrer les musiciens… Pour le reste, la mise en scène est quand même assez
magnifique ; à la fois sobre et grandiose. Les jeux de lumières donnent parfois
du volume de fort belle manière.
Mais bien entendu c'est dans le domaine de la
pyrotechnie que ces gros malades restent champions, et le public aura ressenti
de nombreuses vagues de chaleur intenses ! Maitrisés et inspirés, ces jeux de
flammes contribuent indéniablement à impressionner l'auditoire. Lance-flammes,
bouches de feu, artifices en tous genres atteignent leur somment sur les titres
"Mein Teil" (la marmite
incendiée au lance-flammes), "Puppe"
(un gigantesque landau en flammes), et surtout sur le somptueux "Du hast". Durant ce titre, le
spectacle s'est encore étoffé par rapport à la dernière tournée ;
l'aller-retour de flamme est ponctué d'un puissant et énorme jet de flammes
au-dessus des deux estrades techniques sur les côtés arrières de la fosse, ce
qui n'aurait pas été possible dans un plus petit espace… Mais après ce déluge
de feu, les fumées peinent à s'évacuer. La scène s'en trouve désormais à peine
visible depuis nos gradins… Les deux titres qui suivent sont ainsi totalement
dans le brouillard, à la fois sonore et visuel. C'est le bouquet !
Après une pause dans cette descente aux enfers, le rappel survient sur une estrade installée comme un ring en fosse, plus proche de nos gradins, donc. Néanmoins, on peine encore à distinguer le Duo Játékok qui les accompagne pour interpréter "Engel", que le public reprend d'autant plus volontiers en chœur qu'il pouvait suivre les paroles diffusées en fond de scène. Mais en revanche, dans cette configuration, on se privera du fameux ange mécanique et flamboyant qui était porté par Till durant les précédents concerts.
Ensuite, la fumée étant encore très dense, on peine
également à les distinguer flotter sur la foule à bord de leurs canots
gonflables pour rejoindre la scène.
Puis l'entrainant "Auslander" transforme une nouvelle fois l'arène en boite de
nuit. Un peu plus tôt dans la soirée, "Deutschland"
fut précédé d'un interlude dansant, remix du titre… Ils ont ce côté électro que
j'aime bien. "Du richst so gut"
fut un des rares moments très agréables et efficaces pour moi. "Pussy", en dépit de son canon à
mousse, retomba dans la bouillie sonore inaudible … Le second rappel fut dans
la même veine, et j'avais hâte de respirer l'air pur.
J'attendais avec envie ce concert mais, en dépit du
gigantisme, je suis moins enthousiaste qu'après celui de Bercy. Il faudra que
quelqu'un explique à l'usurpateur du poste d'ingénieur du son que sur les
quarante mille personnes présentes beaucoup n'auront pas apprécié sa notion des
équilibres… Après discussions je m'aperçois en effet que je ne fus pas le seul
à m'en plaindre, y compris parmi les spectateurs du second spectacle du
lendemain. Il faudra aussi que les pyrotechniciens se rappellent que s'il n'y a
pas de fumée sans feu, l'inverse est également à prendre en compte (keuf,
keuf…) !
Il n'en demeure pas moins que RAMMSTEIN reste un
groupe qui ne lésine pas sur les moyens déployés à grande échelle, avec une
rigueur et une efficacité typiquement germanique. Je leur conserve toute mon
estime, mais disons que ce soir les flammes étaient plus sur la scène que dans
mon esprit…
PROGRAMME
:
Was ich liebe
Links 2-3-4
Tattoo
Sehnsucht
Zeig dich
Mein Herz brennt
Puppe
Heirate mich
Diamant
Deutschland
Radio
Mein Teil
Du hast
Sonne
Ohne dich
RAPPEL
Engel (avec Duo Jatekok)
Ausländer
Du riechst so gut
Pussy
RAPPEL
Rammstein
Ich will.
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