Ce concert revêt une saveur particulière puisqu'il s'agit du premier ticket acheté avant la pandémie, dont l'évènement avait été maintenu mais reporté. Mon côté parano me portait à m'inquiéter de l'accès, mais finalement un simple passeport vaccinal devait accompagner le sésame désignant des sièges maintenus.
LE CADRE
C'est toujours une grande satisfaction de se rendre à la salle Pleyel,
car ce véritable auditorium, est confortable, accueillant et surtout doté d'une
acoustique irréprochable. Inaugurée en 1927, dans un style art déco, elle est située
dans le 8e arrondissement de Paris, au 252 rue du Faubourg-Saint-Honoré.
Plusieurs fois rénovée, elle est inscrite au titre des monuments historiques
depuis le 3 septembre 2002. Depuis 2016, après onze mois de travaux, la salle
Pleyel peut désormais accueillir deux
mille personnes assises (voire cinq
cents de plus en escamotant les sièges de sa fosse amovible).
L'ouverture des portes à 19h permet à la horde de laisser la fraicheur
automnale à l'extérieur. Une moyenne d'âge élevée est trahie par beaucoup de
calvities, de poils gris. Cet honorable entourage me rappelle d'ailleurs que je
me raserais bien la barbe, histoire de dissiper cette fâcheuse marque du temps
!
L'évènement est annoncé complet, mais les places sont
numérotées donc aucun stress, nous pénétrons dans l'antre du bonheur, à la fois
excités et calmes (si, c'est possible !). Nos sièges sont en fosse, à quelques rangs
de la scène, excentrés sur notre droite, du côté de l'emplacement du bassiste.
Donc relativement proches des enceintes acoustiques latérales, mais nos
craintes à ce sujet seront vite dissipées.
Rappelons brièvement l'essentiel du parcours du
Monsieur. En 1971, Steve Hackett remplace
Anthony Phillips au sein de Genesis. Il accompagne alors l'âge d'or du groupe
anglais. Cependant ses idées artistiques ne sont pas assez reconnues selon lui
et les choix des autres l'agacent. Son premier album solo "Voyage of the Acolyte" paraît en
1975. Fin 1976, au terme de l'enregistrement de l'album "Wind and Wuthering" ses petits
camarades s'opposent à y intégrer le titre "Inside and Out" qui sera relégué en face B du monoplage "Spot the Pigeon" (13:23) paru en
mai 1977. La frustration de Steve s'accentue d'autant plus lorsque ce titre
sera joué pendant la tournée suivante … et fera même l'objet d'un magnifique
solo de Tony. Il finit par quitter Genesis au terme de la tournée de "Wind and Wuthering", alors que "Seconds Out", l'enregistrement du concert
parisien, est en phase de mixage.
Il avait donc 27 ans, il en a maintenant 71 mais ne
semble en souffrir en aucune manière. Nous, si. Je confesse ne pas avoir suivi
cette carrière, mais j'observe que son 28ème opus, intitulé "Surrender of Silence", paru ce 10
septembre 2021, semble accueilli diversement par la Critique. Pour ma part, je
n'ai écouté qu'un titre qui ne m'a pas emballé plus que cela… Mais bon, je ne
pense pas être le seul ce soir à me déplacer pour le volet antérieur de sa
carrière !
Après une vaine tentative de reformation de Genesis,
avortée en 2007, il décide en octobre 2012 de réarranger quelques titres en
faisant paraitre "Genesis Revisited
II". Constatant le succès recueilli, il décide fort opportunément de
continuer à rendre hommage à cette période sur les tournées suivantes. C'est
ainsi que j'ai pu le voir en tête d'affiche du Be Prog My Friend festival le 30
juin 2018. Ses complices étaient déjà les même que ce soir, à l'exception du
batteur Gary O'Toole.
LE
CONCERT [21h10-23h].
Il a toujours su s'entourer de très bons (voire
excellents) musiciens pour l'accompagner ; cinq d'entre eux sont avec nous ce
soir sur scène : les deux Suédois Nad Sylvan
(chant - Agent Of Mercy) et Jonas Reingold
(basse – The Flower Kings) ainsi que Roger King
(claviers - The Mute Gods), Rob Townsend
(saxophone, clarinette, flute) et Craig Blundell
(batterie - Steven Wilson, Pendragon, Frost…).
L'acoustique de la salle étant idéale, il restait à
l'ingénieur du son à faire son boulot. Et sur ce point aussi la perfection fut
au rendez-vous. La sonorisation fut parfaitement équilibrée. De notre place
nous aurions pu souffrir du moindre excès, mais la puissance fut relative et
chaque pupitre fut respecté.
Pas d'artifice particulier pour cette vaste scène ;
aucun écran, ni fond de scène. Deux plateformes relèvent le pupitre des
claviers à notre gauche et celui de la batterie à notre droite. L'éclairage m'a
paru soigné, même s'il est clair que Steve ne peut rivaliser avec les moyens
d'un groupe comme Genesis. En tous cas, il fut suffisant pour mettre en valeur
ces artistes ainsi que toute la complexité des atmosphères.
Ce bel écrin nous a permis de participer pleinement à
l'invitation aux voyages de ces musiciens talentueux. Steven entretient la
communication avec son public ; parfois en français, plus souvent en franglais,
ce dont il s'excuse volontiers. Personne ne lui en tiendra rigueur : les
anglais faisant cet effort ne sont légions !
Durant une quarantaine de minutes, il nous interprète
quelques titres choisis parmi ceux issus de son parcours solitaire. Choix qui
écarte totalement quatre décennies (80's 90's 00's 10's). Je me régale
sincèrement, même si je connais peu ces titres, exceptés l'immanquable, le
sublime "Shadow of the Hierophant",
dont il joue ici une version instrumentale et écourtée. L'effet crescendo du
final est probablement astucieusement accentué par l’ingénieur de son, car les
pédales de basses actionnées par Jonas nous fait vrombir les poumons ! Un pur
bonheur auditif !!
On aurait apprécié une première partie de soirée un
peu plus longue. Mais la frustration est tempérée par l'assurance d'une seconde
partie plus dense encore.
Un entracte d'une demi-heure permet aux mélomanes
d'échanger les premières impressions.
Ponctuel, les artistes reviennent pour la suite tant
attendue.
Ce volet de la prestation de Monsieur Hackett était le plus attendu par l'auditoire.
Et nous ne serons pas déçus. Quelle sensibilité émouvante (touchés mesurés,
nuances et notes délicatement distillées), quelle technique remarquable ! On
n'est pas dans la démonstration technique et pourtant le virtuose peut montrer
toute l'étendue de son talent. Ses bases classiques se mêlent à ses influences de
jazz et à ses humeurs éthérées. Evidemment, les mélomanes avertis observent les
fameux tapotements -ou "taping"
pour les anglicistes- exercice de jazz dont il peut légitiment revendiquer
au moins la popularisation ! Un vrai régal pour nos sens … Pour le reste, quelles
que soient les regrettables raisons de sa séparation du groupe légendaire, on
peut apprécier la capacité de Steve Hackett à réarranger les titres qu'il a
coécrits pour Genesis. De nombreux segments font l'objet d'improvisations
admirables.
Mais le monsieur est suffisamment intelligent pour
laisser ses complices scéniques s'exprimer dès que possible. A commencer par le
plus exubérant Rob Townsend, dont
les multiples compétences lui permettent d'alterner la clarinette soprano, le
saxophone, les flûtes et parfois même des percussions. Ce multi-instrumentiste
est issu de l'univers Jazz et cela s'entend. Nous aurons tout particulièrement
apprécié le duo avec Steve Hackett lors de "Firth of Fifth".
L'autre duo notable avec Rob fut aussi celui avec le non
moins talentueux Jonas Reingold. Ô
bien sûr, on pourra prétendre que mon impression était causée par ma proximité
visuelle, mais non. Honnêtement, ce son de basse, cette dextérité, cette
complexité de jeu, se sont imposés à mes oreilles durant toute la soirée !
Parfois même au détriment du reste, je le confesse volontiers. Même en soutien
six cordes, sa présence est perceptible. Impressionnant. Il fallait bien un tel
niveau pour arriver au niveau de Mike Rutherford, titulaire du pupitre à la
genèse de ces titres.
Quant à la lourde tâche de se substituer à Tony Banks aux claviers, elle incombe à ce
brave Roger King qui ne démérite pas
non plus. La multitude des accords, des mélodies est interprétée le plus
souvent au plus près des originaux, même si quelques écarts n'ont pas échappé
aux puristes. En tous cas, ma perception de relatif néophyte fut excellente.
Je revois aujourd'hui Craig Blundell pour la neuvième fois (sept fois au sein de Steven Wilson
2015-18, et une fois au sein de Pendragon, 2014). Il faut croire que son talent
est reconnu, car ses recrutements ont toujours été motivés par le remplacement
de hautes pointures ! Pourtant, son arrivée au sein de Pendragon avait peiné à
me faire oublier la frappe de Scott Higham qui m'avait paru moins brutale et
plus subtile. Son arrivée au sein du groupe de Steven Wilson avait peiné à me
faire oublier la frappe de Marco Minnemann qui m'avait paru nettement plus
inspirée, plus subtile et plus fouillée. Et, là pas d'bol, le voilà devant moi
aujourd'hui une fois de plus en comparaison avec un autre illustre batteur,
Phil Collins !! C'est franchement injuste, car il ne manque bien évidement pas
de qualités à son pupitre ! A l'occasion de ses années Wilson, j'avais fini par
l'admettre. Je lui dois donc bien des éloges pour sa prestation de ce soir. Car
son style et sa technique semblent adaptés aux rythmes requis par Steve Hackett
; il a su me convaincre encore cette fois de son talent indéniable. Durant l'ensemble
du concert il a parfaitement rythmé chacune des atmosphères voulues par le
Patron, avec toute la rigueur et toutes les subtilités requises. Cette
impression fut confirmée par un solo dantesque qui résuma toute l'étendue de
son talent.
Quant à Nad Sylvan,
à qui incombe la lourde responsabilité d'assumer les chants, succédant ainsi à
Peter Gabriel et Phil Collins, il s'en sort plutôt bien. Son timbre colle
parfaitement, en se situant entre les deux titulaires historiques. Cependant, sa
tessiture me semble parfois relativement limitée, surtout dans les aigus. Habité
par les textes, il est expressif. Mais campé dans sa zone, il me semble
toutefois peu mobile et manquer de charisme ; il s'absente souvent pour laisser
s'exprimer les segments instrumentaux.
Une belle complicité semble nouer les protagonistes, chacun
peut s'épanouir dans son rôle, ce qui dégage une sensation de cohérence. Ce n'est
pas une mince observation lorsqu'on mesure toute la densité harmonique des
œuvres et son rendu sur scène !
Le public, manifestement constitué de connaisseurs, ne
s'y est pas trompé ; les réactions furent à la fois enthousiastes et
respectueuses. Les mines ravies des spectateurs répondent à celles des
musiciens qui saluent longuement leur public. Indéniablement, nous venons de
vivre une grande soirée musicale.
Le concert se sera donc déroulé en deux parties
distinctes ; cinq titres tirés de ses
opus hors Genesis, puis après l'entracte, les douze titres issus du mythique "Seconds Out" et un
treizième inséré juste avant le rappel.
Les puristes auront pu déplorer l'absence d'autres titres interprétés
durant la tournée ; à l'instar de l'album, il manqua "One for the Vine", "Inside
and Out", "In That Quiet
Earth", "Eleventh Earl of
Mar" et "Knife". Encore
un choix artistique frustrant, mais bon, sachons raison garder, ce second acte
aura tout de même duré 1h50 ! … et on n'a pas vu le temps passer !!
ACTE 1 : hors Genesis.
Dance on a Volcano (A Trick of the Tail, 1976)
Los Endos / Slogans / Los Endos (A Trick of the Tail, 1976).
Les mélomanes passionnés s'attardent sur le trottoir,
histoire d'atterrir en douceur par ce froid de canard. Allons, une petite
descente de l'avenue des Champs Elysées illuminée nous aidera à entretenir une
ambiance festive. Ma prochaine étape avec
ce maître de la guitare est déjà inscrite sur mon calendrier, ce sera au
festival Night of the Prog de Loreley en juillet 2022. Si tout va bien.