Lors de conversations portant sur nos personnalités réciproques, on m'a souvent fait remarquer que je pouvais sembler "obstiné", "têtu", tel le Bélier que je suis. Ce à quoi je réponds le plus souvent, "non, Môssieur" (ou "Madame", c'est selon), pas têtu mais persévérant !". Cette nuance est importante pour comprendre l'évolution de mon approche d'ARCHIVE.
Lors de mon parcours de mélomane, de nombreux artistes,
en dépit de moult écoutes, et pas forcément les plus farfelus, ont tardé à me
séduire avant que je trouve la porte pour les apprécier et les classer parmi
mes favoris. Je citerais de mémoire MARILLION, GAZPACHO, OPETH, GENESIS, KING
CRIMSON, mais aussi MOTORHEAD, TIAMAT, AVATAR, je pourrais aussi citer BACH, …
entre autres.
Nourris de discussions sur les réseaux sociaux, j'ai
bien tenté maintes approches d'ARCHIVE. Mais à la fin des années 2000, on ne
m'avait guère présenté que "Londinium"
(1996), ce qui n'était pas de nature à me séduire particulièrement, encore
maintenant. A force d'insistances, notamment de ma P'tite Fée persévérante elle
aussi, j'avais fini par me rendre à un premier concert en 2015 (au Zénith de Paris), puis un deuxième en 2019 (à la Scène Musicale de Boulogne-Billancourt). Mais sans que
cela m'emporte vers l'enthousiasme attendu.
Oui mais voilà, ma P'tite Fée n'a pas lâché le
morceau. Selon elle, il n'y avait aucune raison "objective" pour que
je reste à quai. Jamais deux sans trois, j'ai fini par me laisser emmener vers
un lieu pourtant a priori inquiétant pour ce genre de musique. En effet, nous
sommes plutôt réticents à nous rendre dans les plus grands espaces, souvent peu
propices à une écoute de qualité. Mais ce soir, ce sera différent…
Précisons quelques chiffres qui me semblent éloquents
pour présenter cette tournée "Call to Arms & Angels", qui
avait dû être reportée d'un an, suite à un cancer du côlon ayant frappé Darius
Keeler… Elle débute par Dijon le 5 octobre et se clôt par une seule et
ultime date à Londres (EartH Hall) le 26 novembre. Cela représente trente-huit (38) étapes (19 en
octobre + 19 en novembre), dont … quatorze (14) en France ! Soulignons que Bruxelles a eu droit à deux dates ! Autre
détail chiffré quand même surprenant ; la EartH Hall de Londres dispose d'une
capacité de 1 200 personnes,
alors que notre Bercy de Paris dispose d'une capacité de 18 476 spectateurs assis/debout !! Décidément nul n'est
prophète en son pays… Enfin, ARCHIVE remplit Bercy après treize autres villes (affichant souvent complet) en France.
Notoriété qui résulte sans doute d'un style de musique fédérateur et médiatisé…
Après une attente dans les premiers frima d'un hiver
approchant, nous pénétrons parmi les premiers dans la fosse du lieu mythique et
nous nous plaçons au deuxième rang en milieu de scène ! Les fans ultra qui sont
placés devant nous sont de taille modeste et la scène est évidemment surélevée ;
ce qui permet à ma P'tite Fée de voir parfaitement tous les éléments. A ce
moment-là, il nous restait encore à s'assurer de la qualité du son…
OCTOBER DRIFT [19h50-20h20]. https://www.octoberdrift.com/
J'imagine que faire partie d'un petit groupe débutant
et devoir assumer la première partie de soirée dans une si grande salle
pourrait être angoissant… En tout cas ces p'tits jeunes anglais n'en laissent
rien paraitre et leur fougue va accaparer l'attention du public pendant une
trentaine de minutes.
Nous n'avions jamais entendu parler de ce quatuor qui
semble cependant avoir écumé depuis 2015 les petites salles de Grande-Bretagne.
Ils ont ainsi récolté des impressions suffisamment favorables pour enregistrer
quelques monoplages, et assurer les premières parties de quelques groupes
britanniques de rock dit "indépendants" (?) tels qu'EDITORS, ARCHIVE (déjà), ou américains tels que
WE ARE SCIENTISTS, à partir de la fin 2019.
Un premier album intitulé "Forever Whatever", est paru en 2020. Leur second opus,
"I Don't Belong Anywhere"
est paru le 14 octobre 2022.
Le quatuor se compose de Kiran Roy (chant et guitare), Daniel Young
(guitare), Alex Bispham (basse) et
Chris Holmes (batterie).
L'énergie de ces jeunes loups est communicative ; ils
sont très exubérants, les instruments dégagent une énergie entrainante, et la
voix est juste quoiqu'exprimée avec une tessiture limitée. Kiran Toy,
particulièrement charismatique, n'hésite pas à descendre de la scène pour
haranguer le public, puis à le fendre profondément, équipé de son fil de micro
suffisamment long pour cela !
La sonorisation équilibrée, puissante mais pas à
l'excès, ainsi qu'un dispositif d'éclairage relativement lumineux, a permis à OCTOBER
DRIFT de capter l'attention de son auditoire et de chauffer la salle à sa
guise. Leur rock est mélodique mais très loin d'être sophistiqué. Saturé
d'énergie certes, mais toutefois peu original. Fait notable peut-être, le
guitariste-chanteur porte son instrument très haut sur sa poitrine… Un style
certes rafraichissant sur l'instant, mais mon oreille est devenue peut-être un
peu trop exigeante pour m'enthousiasmer outre mesure.
Le public leur accorde une ovation dont ils semblent
ravis.
Il semble (ss
réserve, ne connaissant pas le répertoire) que des titres aient été
interprétés ; "Losing My Touch",
"Airborne", "Panic Attack" (info glanée sur des
discussions).
PROGRAMME (à déterminer).
ARCHIVE [20h50-23h10]
ARCHIVE fut fondé
en 1994 par Darius Keeler (claviers,
effets sonores, échantillonnages) et Danny Griffiths
(claviers, effets sonores, échantillonnages). Autour de ce duo, nous trouvons
ce soir Dave Pen (guitare, chant
depuis 2004), Pollard Berrier
(chant, guitare depuis 2005), Steve Barnard
(batterie depuis 2001), Jonathan Noyce
(basse, claviers depuis 2007), Mike Hurcombe
(guitare depuis 2014), et Lisa Mottram
(chant, depuis 2022).
Par rapport à la composition de 2019, Maria Q (chant, chœurs depuis 2001) et Holly Martin (chant depuis 2015), sont
absentes.
Depuis que Darius Keeler et Danny Griffiths ont rencontré
Dave Pen, puis Pollard Berrier, puis Maria Q, ARCHIVE se définit comme un
"collectif" et non comme un groupe ; cette définition
sémantique de leur collaboration vise sans doute à ménager les susceptibilités
entre les artistes, mais quoiqu'il en soit nous avons bel et bien devant nous
un authentique groupe de rock composé de huit musiciens, recrutés au fil de son
parcours.
Sur les deux premiers albums, leur style musical basé
sur une ligne relativement complexe avec synthétiseurs et échantillonnages, baignait
surtout dans ce qui est convenu de nommer le "trip hop". Mais ils ont
ensuite eu la bonne inspiration de fusionner leurs créations avec les sonorités
davantage "electro", "ambient" voire rock progressif. Ce
dernier rapprochement n'est pas évident sur l'ensemble de leur discographie,
mais cependant les atmosphères créées par Pink Floyd (Animals, Meddle) ne sont
pas loin lorsqu'on écoute les plus longs morceaux (tels que "Waste", "Again", "Lights",
"Finding it so hard", "Controlling Crowds", "Calling").
Le douzième
album "Call to Arms & Angels"
est paru le 29 avril 2022. Vingt années
après avoir signé la musique du film "Michel
Vaillant" (2003), ARCHIVE signe celle du film de Mélanie Laurent
(2023) intitulé "Voleuses".
Bref, me voilà donc planté devant ce décor, sans être
persuadé d'être à ma place. Honnêtement, n'ayant pas fixé ce concert dans mes
objectifs, je me suis présenté à cette soirée sans avoir révisé leur
discographie, ni même visionner leurs vidéo sur YouTube. Tout juste ai-je tenté
une nouvelle écoute de leur opus le plus récent … qui continue à me laisser
partiellement perplexe, entre séquences savoureuses et d'autres crispantes.
L'extinction des feux et la diffusion d'une bande son
introductive (qui s'interrompt quelques
secondes avant de reprendre au soulagement général) annoncent le début des
évènements. A partir de cet instant, un homme nouveau va éclore petit à petit…
Du début à la fin du concert, l'ingénieur du son,
digne de son statut, a produit une sonorisation qui est parvenue à développer
les atmosphères avec une finesse saisissante pour cette grande arène ; chacun des
(pourtant) nombreux pupitres se laisse percevoir. Le tout dans une puissance
maitrisée, à tel point que je ne ressens pas la nécessité de porter mes
protections auditives.
Ajoutons à cela que le dispositif d'éclairage est puissant
et somptueux, en témoignent les magnifiques captures d'images auxquelles je
suis parvenu sans difficulté. Rampes articulées, faisceaux lasers, projecteurs
mobiles ont été savamment utilisés par un éclairagiste très efficace pour
produire une multitude d'ambiances absolument fabuleuses, tantôt rougeâtres ou bleutés,
sombres, tantôt hyper lumineuses, éclatantes. Pas de fond de scène, le logo est
présent seulement sur la grosse caisse de batterie et sur les manches des
musiciens.
Placé dans ces conditions idéales, et même avec un
état d'esprit au départ très dubitatif, ma conversion ne sera pas immédiate
mais se produira progressivement. Arrivé au cinquième titre, "Lights" j'ai cru une première fois
avoir trouvé la Porte de l'extase pour le reste de la soirée, mais non, il
fallut qu'ils enchainent avec un horripilant et excessivement tribal "Conflict", ce qui est à mon sens
une énorme faute de goût.
Fort heureusement, la douceur de la longue séquence
préliminaire de "Daytime Coma" issu du récent opus revient calmer le jeu
quelque peu et me permet ainsi de reprendre mon parcours de séduction. Après
six minutes faussement calme, le morceau fait décoller les esprits dans un
tourbillon d'émotions qui ne cessera qu'à la fin du concert. Un peu plus tard
"Take My Head" m'a
carrément sidéré par l'intensité des nuances.
Globalement, les huit titres choisis parmi ceux de
leur nouvel opus "Call to Arms &
Angels" prennent tout leur sens en concert. Je ne suis pas certain que
les autres titres oubliés eussent produit le même effet ; de là à dire que cet
album contient des déchets, je laisse les spécialistes s'exprimer …
Au regard des programmes du reste de la tournée, je
pense que le public parisien peut s'estimer heureux. Pour ma part, des titres
attendus tels que "Lights" "Fuck U" et surtout "Bullets" puis "Again" ont largement contribué à ma
satisfaction.
En dépit de l'irrésistible envie de bouger ou de
planer que provoque alternativement leur musique, je n'ai pas manqué de me
concentrer sur les fonctions des huit musiciens. J'ai ainsi apprécié tout
particulièrement leur maitrise quasi-totale de chaque pupitre. Très, très peu de bande préenregistrée (Allons, notons une voix extérieure durant "Bullets"). Quatre
maitres-bidouilleurs, Keeler, Griffiths, Berrier, et Noyce torturent leurs
outils respectifs pour produire un large panel de sonorités, contribuant ainsi
à entretenir les atmosphères subtiles et dosées, sans dépendre de pistes qui
leur imposerait une quelconque procédure.
A cette maitrise des sons, s'ajoute celle des voix. De très belles polyphonies, masculines ou mixtes, accentuent encore les sensations.
Attardons-nous sur les individus de ce … "collectif" (!). En premier lieu, Darius Keeler dont on aurait pu craindre une méforme ou une baisse de présence ; que nenni ! Plus agité que jamais, il ne se contente pas de se désarticuler derrière ses claviers, il vient haranguer son batteur comme pour l'inciter à frapper encore plus fort. Sa gestuelle particulièrement constante et énergique, me laisse imaginer qu'il accomplit là sa gymnastique de remise en forme. Compte tenu du combat qu'il vient de mener contre ce maudit crabe, j'imagine qu'il tient à lui démontrer qu'il est encore debout.
Son compère et cofondateur Danny Griffiths, placé à son opposé de la scène, est pour sa part bien
plus introverti, concentré sur son clavier. Impassible et imperturbable
jusqu'au salut final où il daigne accorder son sourire soulagé au public
reconnaissant.
Au chant, on ne peut qu'admirer le jeu très éloquent
et charismatique de Dave Pen. Son
chant est puissant et juste, d'une mélancolie déchirante (Again), ou d'une colère retenue (Fuck You) ; il vit ses récits avec conviction.
Sans doute le plus "so british" de tous, Pollard Berrier est sobre, quoique paradoxalement expressif et captivant,
ne fut-ce que par son regard inquiétant, à peine assombri par son chapeau vissé
sur son crâne pendant tout le spectacle. Il intervient fréquemment au chant
avec un timbre légèrement plus aigu, mais toujours aussi juste. C'est lui aussi
un multi-instrumentiste. Il n'hésite pas à alterner les guitares et un clavier
(Again). Fixé à son pied de micro, un
boitier lui permet de bidouiller des sons improbables.
Je ne cacherai pas plus longtemps que j'ai succombé au
charme britannique de Lisa Mottram
même si les puristes viendront me rappeler les qualités de celle qu'elle
remplace (Maria Q). Sa voix semble infantile et plaintive, elle est cependant convaincante
et toujours juste. Cette jolie brune à l'aspect relativement austère s'intègre
parfaitement à l'impression sombre qui se dégage du groupe. A l'instar de Griffiths,
elle illuminera enfin son visage d'un beau sourire lors du salut final.
Quant aux trois autres fatalement en retrait au fond
de la scène, ils ne sont pas en restes. Jonathan Noyce alterne une présence prégnante à la basse principalement mais
aussi au clavier. Discret, mais pourtant essentiel en soutien voire en soli de
guitares, Mike Hurcombe permet
d'ajouter du corps aux accords (hihi elle est belle celle-là !) tantôt à la
sèche, tantôt à l'électrique. En effet, Steve Barnard, le bucheron de service que j'avais si sévèrement critiqué
dans mes deux précédents récits ; je dois admettre qu'après tout il assure son
rôle avec l'efficacité requise pour ces compositions. Et cela avec le sourire
d'un homme épanoui et impliqué (d'ailleurs
"Smiley" est son surnom).
C'est ainsi qu'au fil du concert que je me suis volontiers
associé à la ferveur d'un auditoire subjugué, qui n'a cessé d'acclamer les
prestations. Je souligne la qualité de ce public enthousiaste mais poli ; pas
de bousculade, que des sourires ébahis.
Dix œuvres sont visitées ce soir au travers de dix-huit titres, dont huit issus de "Call to Arms & Angels", deux de "Lights", un de "You All Look the Same to Me", un de
"With Us Until You're Dead",
un de "Controlling Crowds",
un de "Controlling Crowds Part IV",
un de "Noise", un de "Take My Head", et un de la
bande-son du film "Voleuses".
PROGRAMME
- Mr. Daisy (Call to Arms & Angels, 2022)
- Sane (Lights, 2006)
- The False
Foundation (The False Foundation,
2016)
- Vice (Call to Arms & Angels, 2022)
- Lights (Lights, 2006)
- Conflict (With Us Until You're Dead, 2012)
- Daytime Coma (Call to Arms & Angels, 2022)
- Surrounded by
Ghosts (Call to Arms & Angels,
2022)
- The Skies
Collapsing Onto Us (Voleuses, 2023)
- Take My Head (Take My Head, 1999)
- The Crown (Call to Arms & Angels, 2022)
- Fear There
& Everywhere (Call to Arms &
Angels, 2022)
- Enemy (Call to Arms & Angels, 2022)
- The Empty
Bottle (Controlling Crowds Part IV,
2009)
- Gold (Call to Arms & Angels, 2022).
RAPPEL :
- Fuck U (Noise, 2004)
- Bullets (Controlling Crowds, 2009).
RAPPEL :
- Again (You All Look the Same to Me, 2002).
Alors oui, je reconnais humblement mon retournement de
veste. Je relis mes précédents récits avec le sentiment d'avoir été cruel et
injuste. Mais tel était mon état d'esprit et je l'assume. La critique
artistique est fatalement subjective, soumise aux contextes psychologiques et
physiques de son narrateur.
Je me dois de reconnaitre que ce beau voyage, encore
improbable la veille, est dû à l'instance bienveillante de ma P'tite Fée.