Alors que je rédige ce petit relevé d'impressions, au
lendemain de cette soirée dantesque, je suis encore sous le choc émotionnel
avec le sentiment d'avoir assisté à un concert tout simplement exceptionnel et
inoubliable.
Lorsque ce concert a été annoncé officiellement en mai
2019, je disposais d'un double motif d'engagement.
1°) Revoir un concert de LEPROUS me semble a priori un
objectif quasi inévitable compte tenu de leur discographie qui est pour moi une
source ininterrompue de plaisirs auditifs, mais aussi compte tenu de la haute qualité
de tous les concerts auxquels j'avais déjà assisté.
2°) Mais tout bijou mérite son écrin ; retourner au
Cabaret Sauvage entretient une motivation supplémentaire pour mon déplacement. Je
n'y avais pas remis les pieds depuis 2014 ; c'était à l'occasion du concert de
Guillaume Perret et son Electric Epic. C'est un très joli petit auditorium, situé
en bord du Canal de l'Ourcq, qui affiche une capacité de 1 200 personnes. Cet
espace douillet me fait davantage penser à un petit cirque car il offre la
particularité d'être conçu selon un format à 360°. Dans sa configuration
concert, une piste centrale accueille la fosse. Elle est entourée d'un cercle compartimenté
et feutré pour accueillir des spectateurs, et entrecoupé d'un segment pour la
scène. Cette particularité permet à une partie du public d'assister au concert
depuis les côtés de la scène. Je m'étonne et déplore que sa programmation particulièrement
hétéroclite soit trop rarement à mon goût pour y venir plus souvent. Mais outre
la bonne visibilité, c'est surtout l'excellente acoustique qui en fait un
véritable auditorium.
PORT NOIR
[19h30-20h]
Port Noir est un groupe suédois de rock alternatif qui
a commencé en 2011. Leur premier album, "Puls", est sorti à l'automne 2013. Il est actuellement composé
de Love Andersson (basse, chant), Andreas
Hollstrand (boite à sons, guitare)
et Andreas Wiberg (batterie).
Leur nouvel album, "The New Routine" est paru le 10 mai 2019.
La sonorisation fut correcte, audible et équilibrée
laissant entendre notamment les sonorités électroniques crées par Andreas
Hollstrand sur son bidouilleur de sons sur pied.
Logiquement réduit vu le statut d'invité, l'éclairage
fut toutefois plutôt clair et sans fumée. Pas de fond de scène mais, afin de
s'identifier ostensiblement, deux bloc monolithiques noirs installés de chaque
côté de la batterie montrait respectivement les mots "Port" et
"Noir". Voilà qui a le mérite d'être clair !
Habituellement, je suis enclin à aimer les trios, car
ils ont tendance à exprimer avec une guitare, une basse et une batterie, un
rock épuré de toute fioriture inutile. Sur le papier, un trio avec un bassiste
chanteur, cela aurait pu m'évoquer Mötorhead, mais ici on est bien loin du
rock'n'roll pur et dur, plus proche du rock électro. D'ailleurs, la guitare de
Hollstrand est juste un accessoire, peu mise en valeur, le plus souvent en bandoulière
dans le dos. Le chant est juste, mais sans tessiture ni relief particulier. Les
rythmes sont chaloupés et souvent entraînant, mais peu de mélodie susceptible
de m’entraîner vers la satisfaction.
Heureusement pour ces scandinaves, une part du public
semble apprécier plus que moi et leur accorde une ovation sans doute méritée
dans leur genre…
Durant une demi-heure, ils ont pu chanter six titres.
PROGRAMME
:
Young
Bloods (The New Routine)
Flawless (The New Routine)
Blow (The New Routine)
Champagne (The New Routine)
Old
Fashioned (The New Routine)
13 (The New Routine).
THE OCEAN
[20h10-20h45]
Ce quintet allemand est supposé proposer au fil de ses
créations du post-metal ou/et du metal progressif (personnellement je cherche encore l'aspect progeux...) Le groupe
trouve ses origines à Berlin en 2001 sous l'impulsion du guitariste Robin Staps. Mais THE OCEAN se stabilise à
partir de 2009. C'est ainsi qu'actuellement, autour de Robin Staps (guitare, depuis 2001) nous
découvrons le français Loïc Rossetti
(chant-ou plutôt hurlement-, depuis
2009), Damian Murdoch (guitare,
depuis 2013), Paul Seidel (batterie,
depuis 2013), Chris Breuer (basse, depuis
2013, membre de tournée et apparition sur l'album "Pelagial"). Il
semblerait que le titulaire du pupitre de basse depuis 2008, Louis Jucker ait
mis son activité en suspens pour suivre ses études…
Leur septième album, "Phanerozoic I: Palaeozoic" est paru le 2 novembre 2018.
Il semble que ce soit le premier volet d'un diptyque dont la deuxième partie serait
prévue pour 2020. J'ai déjà eu l'occasion d'assister à un de leurs concerts
car, lors de leur tournée "Precambrian",
ils furent invités par Opeth pour ouvrir leur soirée à l'Elysée Montmartre, le
27 novembre 2008. Je n'en avais conservé qu'un souvenir bruyant et
désagréable.
L'ingénieur du son a su tirer profit de l'excellente
acoustique de cet espace en produisant un son un peu trop puissant mais
équilibré et audible.
Pas de fond de scène dans cet espace restreint. Quant
à l'éclairage, il est logiquement minimaliste vu le statut d'invité, et plutôt
sombre favorisant les couleurs vertes enveloppées de vapeurs épaisses. Un Mandrilloptère
aurait sans doute été nécessaire pour distinguer autre chose que des ombres sur
la scène, mais je suppose que l'effet était recherché…
Leur musique très metal aurait pu me paraître
attractive s'il n'y avait pas ces hurlements du vociféraptor de service. Du
coup, globalement THE OCEAN me parait toujours aussi répulsif, onze années
après. Quant à leurs textes anglais, notoirement antithéistes, ils ne me
touchent guère.
Une bonne part du public leur a accordé son soutien.
Ils ont recueillis une belle ovation finale. On est content pour eux. Moi, je
suis soulagé de passer à autre chose…
Durant une grosse demi-heure, six titres ont été
interprétés.
PROGRAMME
:
Permian: The Great Dying (Phanerozoic I: Palaeozoic)
Mesopelagic: Into the Uncanny
(Pelagial)
Silurian: Age of Sea
Scorpions (Phanerozoic I: Palaeozoic)
Bathyalpelagic II: The Wish
in Dreams (Pelagial)
Devonian: Nascent (Phanerozoic I: Palaeozoic)
Firmament (Heliocentric).
LEPROUS [21h45-23h10]
Ce groupe norvégiens a été fondé en 2001 par le
chanteur et claviériste Einar Solberg
et le guitariste Tor Oddmund Suhrke.
Après quelques tâtonnements et changements, Einar
Solberg (chant, claviers, depuis 2001) et Tor Oddmund Suhrke (guitares, chœur,
depuis 2001), ont finalement été rejoints par Baard Kolstad (batterie, depuis 2014), Simen Børven (basse, chœur, claviers occasionnel, depuis 2015) et Robin Ognedal (guitares, chœur, depuis 2017).
Cette tournée, débutée avec l'arrivée de l'automne, se
cadre dans la promotion de leur sixième album "Pitfalls" paru le 25 Octobre 2019. Déjà avec l'opus
"Melina" paru en 2017, on
pressentait un virage vers un horizon moins agressif, plus éthéré. Les soli de
guitares, leurs accords agressifs et les grognements ayant disparu. En effet,
après la parution du dvd "Live at
Rockefeller Music Hall" (2016),
il est probable qu'Einar aura voulu tourner une page. Au désarroi de certains
admirateurs des débuts, ce "Pitfalls" confirme et accentue magnifiquement cette
orientation. Ce splendide opus transpire l'état psychologique difficile et
finalement salvateur que vient de traverser Einar. Il restait à vérifier la
transposition de cette création sur les scènes de la tournée…
Avant de me rendre au concert de THERION ce 3 novembre
2010, à l'Elysée Montmartre, j'avais été
prévenu d'une probable transmission d'un virus imparable durant la première
partie de soirée. LEPROUS était à cette
époque en tournée pour promouvoir "Tall
Poppy Syndrome". A l'écoute de leur musique à la fois très énergique
et mélodique, et de la voix incroyable d'Einar, la contagion fut en effet
inévitable. Je ne pouvais que subir l'évolution de la fièvre en attendant
fébrilement les parutions successives d'opus-remèdes pour calmer les accès. A
l'occasion des tournées que s'en suivirent, j'ai eu ainsi la chance d'assister
aux concerts du 20 octobre 2012 au Divan du Monde (tournée Bilateral), du 11 juillet 2015
au Poble Espagnol/BeProg My Friend (tournée
The Congregation), du 05 octobre 2015 au Divan du Monde (tournée The Congregation), du 01 juillet 2017
au Poble Espagnol/BeProg My Friend (tournée
Malina), et enfin du 15 septembre 2019 au Raismefest (tournée Pitfalls). Ce soir c'est donc la
septième fois que j'ai le plaisir d'assister à un de leurs concerts.
Au fil des années, leur metal-progressif aux mélodies
irrésistibles emportées par une puissance colossale s'est mué en rock de plus
en plus éthéré, mélancolique mais paradoxalement toujours aussi puissant, atypique
et toujours surprenant.
Je sais à quoi m'attendre musicalement ce soir,
puisqu'il y a deux mois, je faisais partie des metallos du Raismesfest qui
avaient la lourde tâche de soutenir ces valeureux vikings, parmi un public majoritairement
sceptique. Mais j'ai hâte de communier avec le public de LEPROUS a priori plus réceptif.
Je m'incruste dans les premiers rangs, histoire de capter l'émotion au plus
près.
S'agissant de la sonorisation, il est rare de
bénéficier d'un tel faisceau d'opportunités : le plus souvent soit l'acoustique
de la salle est mauvaise, soit l'ingénieur du son est plus ou moins
incompétent, ou/et désinvolte. Cette fois, tout
est parfait, et ce du début à la fin
du concert ! Il ne me fut même pas nécessaire de garder mes protections
auditives, ce qui a encore accru la finesse de ma perception de tous les sons.
Dès les premières notes la pureté sonore a permis aux auditeurs de percevoir
toute la sensibilité, tout le talent exprimé par les artistes, et Dieu sait
qu'ils en ont !
Alors que l'éclairage m'avait semblé sombre et lugubre
au Raismesfest, cette fois il m'a paru plus lumineux offrant davantage de
visibilité aux auditeurs et aux chasseurs d'images. Les couleurs rouges et
bleues sont toujours favorites, mais les projecteurs blancs me paraissent plus
présents qu'auparavant, c'est en tous cas mon ressenti de photographe amateurs.
En fond de scène, malgré l'exiguïté du lieu on distingue l'image de la
couverture du dernier album.
La scène est étroite, et pourtant non seulement
LEPROUS est parvenu à caser un espace pour chacun des cinq membres du groupe (pourtant très expansifs et agités !), et
un espace pour un clavier occasionnel en plus du clavier central, mais de surcroît ils accueillent à leurs côtés Raphael Weinroth-Brown, un violoncelliste canadien déjà connu pour avoir
collaboré avec Steven Wilson et Mikael Åkerfeldt. Ce virtuose se révèle aussi
expressif sur scène que pouvaient le laisser imaginer ses vidéos.
Dans ce contexte, cette soirée ne pouvait être que
grandiose. Einar, d'une main de maître est parvenu à adapter parfaitement ses
chansons à la fois somptueuses et complexes pour la scène et à les faire
apprécier de son public. Voilà un artiste qui prend des risques et les assume.
Cela passe ou cela casse, mais en l'occurrence, LEPROUS parvient à obliger son auditoire
à adapter son logiciel d'écoute pour le suivre dans des aventures qui débordent
largement du metal et même du rock progressif. Il nous emmène aux confins d'une
pop expérimentale.
Les conditions idéales d'écoute, et ma proximité avec
les artistes m'ont permis de déceler moult subtilités que je n'avais pas encore
eu le temps de capter sur l'album. Je souligne bien évidement la performance
vocale de Einar qui, sur des titres comme "Below", ou "Alleviate"
entre autres, montre le même timbre à la fois délicat et puissant, la même
tessiture étourdissante qu'en studio. Il chante avec une telle facilité
apparente que rien sur son visage ne montre d'autre marque que celle de sa
conviction. Je souligne aussi en particulier la présence quasi permanente du
violoncelliste, dont les accords en contre-chant subliment densément les
mélodies. Je souligne encore l'abnégation des guitaristes (tous pupitres) qui
font un travail remarquable techniquement sans pour autant démontrer de soli saillant.
Ils contribuent ainsi à l'expression d'une musique fouillée mais pas fouillis,
chacun à sa place mais tous ensemble. Je souligne de surcroît les talents de
multi-instrumentistes qui alternent leur pupitre avec un clavier ou avec un
micro pour les chœurs. D'ailleurs j'en profite pour ajouter une autre qualité à
cette prestation, à part quelques rares séquences négligeables, tout était
interprété par les musiciens : pas de bandes-son ! Les deux claviers et le
violoncelle ont remplis à merveille les fonctions de jonctions harmoniques et
d'ambiance. Que du bonheur je vous dis !
Le public ne pouvait que chavirer de bonheur. L'auditoire
était certes conquis d'avance mais beaucoup comme moi ont eu le sentiment ce
soir d'avoir assisté à un concert d'une rare perfection.
Durant près de deux heures et demie, nous aurons eu
droit à quatorze titres, dont sept (des dix) titres extraits de Pitfalls. Je me permets de déplorer
l'absence de "Golden Prayers",
très beau titre paru en monoplage (mot
québécois que je préfère à "single") le 1er juin
2018, et qui avait pourtant été chanté au Raismesfest … Mais par ailleurs
l'ensemble du programme fut un pur régal ; de surcroit il m'a permis de redécouvrir
"Distant Bells" qui figure désormais dans mes favoris !
PROGRAMME
:
Below (Pitfalls, 2019)
I Lose Hope (Pitfalls, 2019)
Illuminate (Malina, 2017)
Foe (Coal, 2013)
From the Flame (Malina, 2017)
Observe the Train (Pitfalls, 2019)
Alleviate (Pitfalls, 2019)
At the Bottom (Pitfalls, 2019)
The Cloak (Coal, 2013)
The Price (The Congregation, 2015)
Third Law (The Congregation, 2015)
Salt (Coal, 2013)
Distant Bells (Pitfalls, 2019).
RAPPEL
The Sky Is Red. (Pitfalls, 2019).