Alors
que je commence à rédiger, après une journée de travail, un redoutable récit de
ce concert, je ne peux pas éviter de faire état de ma consternation au contact
de mes collègues.
Encore
sur mon nuage floydien 48 heures après, je tente de leur faire partager mon
émotion. "Je suis allé voir David, samedi à Chantilly" - "qui ca
?" – "bah, David Gilmour quoi, vous n'avez pas entendu parler de sa
tournée !" – "c ki lui ?" – (…) Interloqué, je n'en crois pas
mes oreilles, mais je tente de garder un flegme apparent pour leur demander
"Pink Floyd, vous connaissez ?" – "bah oui !" – "eh
bien c'est son guitariste !" – "ah ?" – (…) abasourdi, je me
résigne à tourner les talons et je vais voir ailleurs si j'y suis …
De
nature obstinée, je persiste avec trois interlocuteurs différents ; trois bides
… Complément affligé et abattu par le désespoir, je me suis finalement réfugié
dans mon bureau. Heureusement seul en cette période estivale, je préfère rester
sur mon nuage et les laisser disserter sur leurs petits soucis quotidiens.
Pink
Floyd a bercé une bonne partie de mon adolescence, leur musique m'ayant touché
bien au-delà du succès planétaire généré par "The Wall". Mais ce
n'est que lors de la tournée "A Momentary Lapse of Reason" que j'ai
pu enfin les voir (Gilmour, Mason, Wright) sur la scène de Bercy le 28 juin
1989. Ce fut une première claque monumentale, puis une deuxième sur la tournée
"The Division Bell" le 30 juillet 1994, déjà au Château de Chantilly.
J'ai
toujours rêvé du retour de Roger Waters au sein du groupe mais en attendant, je
me suis rué sur ses mémorables tournées ("The Pros and the Cons", le
6 juillet 1984 – "the Wall", les 30 mai 2011 et 21 septembre 2013).
En
revanche, je n'ai pas su, pu ou voulu aller voir David Gilmour seul. J'ignore
la raison profonde ; il me semble que je l'ai soupçonné longtemps d'avoir causé
la brouille avec Roger Waters, si bien que j'avais pris parti pour ce dernier.
C'est sans doute regrettable, mais c'est ainsi.
Cette
tournée "Rattle That Lock" est donc une excellente occasion de me
replonger dans cet univers délicieux. D'autant plus que la petite Fée qui a eu
la bonne idée de m'accompagner n'a jamais vu le Floyd et encore moins David, ce
qui, même si elle a déjà vu Roger, est une lacune à combler de toute urgence ! Et
il est grand temps, au regard des années qui passent ; le Monsieur vient quand
même de fêter ses 70 ans le 6 mars dernier. Sans cynisme excessif, il est
permis d'imaginer que cette tournée pourrait être la dernière.
Evidemment
un talent de ce calibre se doit d'être bien entouré et on peut ainsi souligner
la présence de deux claviers très talentueux ; Chuck Leavell (ex-Allman Brothers Band, qui a également tourné avec
les Rolling Stones), et Greg
Phillinganes, qui a participé aux activités de Toto ou de Clapton. A la
basse (et contrebasse), c'est Guy Pratt,
qui a déjà remplacé le grand Roger au sein du Floyd. Pour compléter le tableau
de scène le guitariste Chester Kamen
est en soutien, Steve DiStanislao est
à la batterie et João Mello est au saxophone et clarinette. Enfin, trois
choristes excellents Bryan Chambers
(qui se chargera en particulier d'un large passage sur "In Any Tongue"),
Lucita Jules (impressionnante notamment
sur "The Great Gig in the Sky"), et Louise Clare Marshall.
Voilà
pour les présentations des protagonistes (nous et eux, Us and Them … et oui,
vous y aurez eu droit !) ; tout est en place pour le début du concert prévu à
21h.
Nous
sommes arrivés sur site vers 17 heures, après une marche d'environ 2000 mètres
qui nous séparent des parkings (…). Une heure d'attente sous une chaleur
torride, et les grilles du Château s'ouvrent enfin peu après 18 heures. Mais
nous ne sommes pas au bout de nos peines puisque des chicanes et des fouilles
minutieuses nous attendent ; nous devons prendre le temps de laisser notre
perche d'auto-portraits à la consigne (ça tombe bien, on n'avait que ça à faire
! grrr).
Mais
par un bonheur inattendu nous constatons que nous sommes finalement parmi les
premiers et nous nous plaçons donc pas très loin de la scène, en face des
choristes. Commence alors une attente qui sera bien plus longue que prévue. Les
fouilles à l'entrée se sont avérées fastidieuses et David a voulu attendre que
son public ait pu entrer avant de commencer : c'est tout à son honneur.
Mais
cependant, à 21h45 nous avions déjà les jambes lourdes et la gorge bien sèche,
lorsqu'une voix nous invite à respecter une minute de silence en mémoire des
victimes de l'attentat à Nice. Un impressionnant silence est effectivement
respecté.
Trêve
de lamentations, nous sommes ici pour nous réjouir que Diable ! Et lorsque le
Monsieur et son équipe déboulent sur scène nous oublions très vite notre longue
attente !
Dès
les premières notes de "5AM/RTL" notre peau fait la chair de poule et
les poils s'hérissent irrésistiblement, le son est d'une limpidité et d'une
puissance saisissante. Pas besoin de protection auditive, la pureté du son
s'impose pour entendre David pester contre son matériel qui le trahit et
l'oblige à abandonner sa Stratocaster après avoir dû terminer le premier titre
sans instrument ! Il s'excuse dans un très bon français "La guitare, c'est
tout vieux, comme moi" !
Le
désagrément est vite oublié car il enchaine avec le titre suivant de l'opus RTL,
ca tombe bien c'est celui que nous préférons ; "Faces of stone" !
Splendide,
que de délicatesse et que de virtuosité !! Nous ne pouvons que savourer notre
plaisir en écoutant celui dont tant de nos virtuoses préférés se sont inspirés,
tels que Andrew Latimer (Camel), Steve Rothery (Marillion), Nick Barrett
(Pendragon) et tant d'autres ! Aussi talentueux à la guitare acoustique
qu'électrique, en bandoulière ou sur une table pour jouer en slide. Il fait
corps avec sa vieille guitare toute usée par les innombrables sollicitations,
et il parvient à pousser les cordes pour en extraire des sons si
caractéristiques de son jeu ; souvent dans les aigus, parfois dans les graves
mais toujours avec une force qui tranche avec son calme, sa sérénité.
Et,
pour ne rien gâcher, il communique aisément en français (il s'applique bien sur
les "r" !) avec son public, notamment pour plaider davantage de
fraternité dans notre société. Je pense profondément que le choix de la musique
générique de la SNCF pour introduire "Rattle That Lock" n'est pas
anodin. Il est probablement plus francophile que la plupart de ses compatriotes.
Autre
petit détail : J'ignore ce qu'il pense du Brexit mais en tous cas il a laissé
son bassiste arborer un t-shirt aux couleurs du drapeau européen…
Le
sentiment de plénitude est accru avec un gigantesque écran sphérique qui
diffuse les images en gros plans du jeu du Maître, celles de ses complices,
ainsi que celles des vidéos illustrant les chansons. L'éclairage, encore timide
tant que le jour n'est pas encore tombé, s'est révélé somptueux et adapté aux
différentes atmosphères.
Le
spectacle est parfaitement en place, tous les musiciens sont impliqués dans
leur partition mais également dans les chœurs et contre-chants, ce qui me
touche tout particulièrement.
La
voix de David peut parfois laisser penser à une légère faiblesse mais rien de
bien gênant en fait ; d'ailleurs durant la soirée son intonation m'a parfois
fait penser à Joe Cocker.
J'insiste
particulièrement sur les trois choristes, non pas parce qu'ils étaient en face
de moi, mais parce que je les ai trouvés excellents, vraiment. Tant pour leur
virtuosité vocale sur les titres phares qui requiert un vrai talent, que sur
leur gestuelle. Inlassablement ils contribuèrent à donner du mouvement à la
grande scène sur laquelle les autres musiciens étaient relativement statiques,
excepté peut-être Chester. Leur bonheur
de mettre en valeur l'œuvre de David faisait réellement plaisir à voir. J'ai
déploré d'ailleurs qu'au moment des présentations David, après un hommage
appuyé pour ces comparses, était passé un peu rapidement sur leur identité,
mais ils ne semblent pas s'en être offusqués.
Je
pourrais disserter ainsi sur chaque titre, mais à quoi bon. Je ne me sens pas
capable de détailler la palette des émotions vécues dans ce cadre royal.
Ce
fut juste un moment inoubliable pour moi, un modeste mélomane, ainsi que pour
les quelques 24000 personnes présentes (seule évaluation relevée dans le
journal "le Parisien", ce dont nous devrons nous contenter faute de
transparence, attitude aussi habituelle qu'exaspérante de la part de GDP). Notre
positionnement était quasi-idéal pour déguster cette soirée puisque d'autres
admirateurs placés dans les premiers rangs s'en sont écartés pour fuir la
violence des tonalités basses et que d'autres encore étaient trop loin devant
ainsi se contenter des écrans comme à la maison …
Le
premier acte de la soirée se clôt vers 23 heures ; un premier bilan s'impose et
les discussions sont animées entre mélomanes déjà émerveillés. Et pourtant à
mon avis, avec le recul, le meilleur allait venir en seconde partie. Mais déjà
à ce stade, le quart d'heure de pause n'a pas suffi pour échanger nos
sentiments. En ce qui me concerne je fus ravi des choix de titres de Pink
Floyd, même si j'ai été un peu frustré de les entendre ainsi tiré de leur
contexte conceptuel. Excellente idée cette vraie cloche que le batteur fait tinter
sur "High Hopes". Quant à son répertoire personnel je retiendrai les
titres particulièrement merveilleux "Faces of Stone" et "In Any
Tongue" (magnifique vidéo).
Vers
23h15, David revient nous asséner l'acte fatal, à coup de titres auxquels je ne
m'attendais pas ; en particulier "One of These Days" et surtout
"Fat Old Sun" que je n'aurais jamais imaginé écouter un jour sur
scène avec (au moins) un des membres du Floyd. Tout juste imaginais-je
vaguement écouter un jour un hommage interprété par un "Britfloyd" ou
un autre ! Là, je peux dire que je me suis pris un pied inouï ! Les quatre premiers
titres étourdissants étant passés, on se calme avec un retour à son répertoire
plus récent et personnel.
Mais
jamais l'émerveillement ne baisse totalement et surtout pas pendant le
délicieux bluesy-jazzy "The Girl in the Yellow Dress"
Remarquable
interprétation de "Sorrow" que personnellement j'adore car ce titre
me rappelle une période de relative insouciance. Le temps passe très, trop vite
et déjà "Run like Hell" est sensé clore la soirée.
David
feint de nous abandonner mais, évidemment, le rappel s'impose peu après minuit
et demi. Les trois titres qui suivent nous transportent de joie et, cerise sur le
gâteau, c'est un somptueux "Comfortably Numb" qui termine
définitivement la soirée, dans un jeu de fumigènes et d'éclairages en faisceaux
absolument étourdissants !
C'est
fini, il nous faut redescendre sur Terre. La foule tente de sortir dans un des
deux goulots de sortie (le nôtre est particulièrement étroit), la sonorisation
aurait pu (dû) diffuser l'opus "Animals" et ses bêlements pour coller
à l'ambiance.
Après
une longue et épuisante (après cette journée) marche dans la pénombre nous
retrouvons notre titine pour la noyer dans une interminable guirlande rouge de
voitures impatientes …Mais là encore nous ne pouvons pas nous plaindre car, en
arrivant avant 17 heures, nous avons bénéficié d'une place proche de la sortie.
La majorité des automobilistes a sans doute perdu de nombreuses demi-heures
avant de pouvoir sortir !...
Nonobstant,
avec le temps je suis persuadé que tous nous ne conserverons de cette soirée
que les souvenirs radieux de cette parenthèse magique dans le monde
post-floydien. Tant pis pour les hermétiques à ces sensations, ils ne savent
pas ce qu'ils perdent …
PROGRAMME :
Acte 1:
5 A.M. (Rattle That Lock)
Rattle That Lock (Rattle That
Lock)
Faces of Stone (Rattle That
Lock)
What Do You Want From Me (reprise de Pink Floyd-The Division Bell)
The Blue (On an Island)
The Great Gig in the Sky (reprise de Pink Floyd-The Dark Side of the
Moon)
A Boat Lies Waiting (Rattle
That Lock)
Wish You Were Here (reprise de Pink Floyd)
Money (reprise de Pink Floyd-The Dark Side of the Moon)
In Any Tongue (Rattle That
Lock)
High Hopes (reprise de Pink Floyd-The Division Bell).
Acte 2:
One of These Days (reprise de Pink Floyd-Meddle)
Shine On You Crazy Diamond (Parts I-V) (reprise de Pink Floyd-Wish You
Were Here)
Fat Old Sun (reprise de Pink Floyd-Atom Heart Mother)
Coming Back to Life (reprise de Pink Floyd-The Division Bell)
On an Island (On an Island)
The Girl in the Yellow Dress
(Rattle That Lock)
Today (Rattle That Lock)
Sorrow (reprise de Pink Floyd-A Momentary Lapse of Reason)
Run Like Hell (reprise de Pink Floyd-The Wall).
Rappel :
Time (reprise de Pink Floyd-Dark
Side of the Moon)
Breathe (reprise de Pink Floyd-Dark Side of the Moon)
Comfortably Numb (reprise de Pink Floyd-The Wall).